L’obsolescence de l’éclairage urbain

Publié le 24 janvier 2020 | Temps de lecture : 4 minutes

À partir de 1667, du 1er novembre au 1er mars, les rues de Paris furent éclairées par des lanternes à chandelles.

Un siècle plus tard, les premiers réverbères à l’huile — inventés en 1744 par Bourgeois de Chateaublanc — remplacèrent les lanternes à chandelles.

On les appelait réverbères — du latin reverberare qui signifie ‘réfléchir des rayons’ — parce que leur intérieur était tapissé de miroirs réfléchissants destinés à diriger la lumière vers la chaussée.

C’est en 1813, sur le pont de Westminster de Londres, que furent installés les premiers réverbères au gaz. Comme leurs prédécesseurs, il fallait les allumer manuellement chaque soir.

À partir de 1816, on commença lentement à en installer à Paris.

Prenant de vitesse Paris et Londres, Bruxelles fut la première ville d’Europe réellement éclairée au gaz.

En 1879, indépendamment l’un de l’autre, Joseph Swan (en Angleterre) et Thomas Edison (aux États-Unis) inventèrent la première ampoule électrique.

Celle d’Edison possédait un filament en fil de coton traité chimiquement. Elle durait 45 heures et avait couté 45 000$ en recherche et développement.

En 1906, la première ampoule à filament de tungstène fut mise au point.

Pourquoi en tungstène ? Parce que ce métal est celui qui possède le plus haut point de fusion (3422°C)

En peu de temps, l’ampoule électrique vissée sous un disque de métal ondulé éclaira toutes les rues de la planète.

Son règne dura plusieurs décennies.

Nées simultanément au début des années 1930, les lampes au mercure et celles au sodium durent attendre la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour se généraliser.

En finançant la reconstruction de l’Europe (par le Plan Marshall), les États-Unis favorisèrent l’adoption de ces deux technologies américaines.

Ailleurs à travers le monde, on incita les villes à abandonner leurs lampadaires au tungstène en faisant valoir que ces vieilleries n’étaient pas très puissantes et que des rues mal éclairées favorisent la criminalité.

Afin de mieux protéger leurs citoyens, les villes adoptèrent l’éclairage urbain au mercure ou au sodium. Et ce d’autant plus facilement que ces lampes étaient beaucoup plus durables.

Dans les années 1960, les luminaires au mercure, avec leur intense lumière blanche, décoraient les nouveaux quartiers résidentiels de Montréal

Mais les fabricants des lampes au sodium soulignèrent bientôt les lampes au mercure représentaient une importante source de pollution.

À Montréal, on opta donc pour l’éclairage au sodium à partir des années 1990.

Arrivent les DEL une décennie plus tard.

Ceux-ci consomment beaucoup moins d’électricité. Cette économie fait en sorte qu’après huit ans, ces luminaires n’ont rien couté.

Les villes commencent donc à s’équiper de DEL à 4000°K, un peu moins dispendieuses que les DEL à 3000°K.

Alors que l’administration Coderre s’apprêtait à doter la ville de Montréal de 110 000 lampadaires au coût de 110 millions$, celle-ci changea d’idée à la suite d’une série de reportages à Radio-Canada au sujet de la dangerosité de la lumière bleue émise par les DEL.

On préféra alors payer un million$ de plus pour acheter des DEL à 3000°K (qui émettent un peu moins de lumière bleue).

Le déploiement de ces nouveaux lampadaires n’est pas encore terminé que déjà d’autres voix s’élèvent pour qu’on utilise plutôt des DEL à 1800°K, pauvres en lumière bleue.

Pendant ce temps, les fabricants s’activent à mettre au point des DEL incapables d’émettre la moindre lumière bleue.

Au lieu de créer de la lumière en mélangeant des diodes bleues et jaunes, on choisira deux autres couleurs complémentaires comme le magenta et le vert.

À coups d’améliorations technologiques successives (dont le rythme s’accélère), on incite les élus municipaux — sous la pression de l’opinion publique — à constamment renouveler leur mobilier urbain, annulant ainsi des économies qui ne devaient se matérialiser que si les luminaires étaient utilisés au-delà de huit ans.

Références :
Les inventions
Réverbère

Compléments de lecture :
L’éclairage urbain à DEL
Lumière bleue et dégénérescence maculaire

Laissez un commentaire »

| Politique municipale, Technologie, Urbanisme | Mots-clés : , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’éclairage urbain à DEL

Publié le 16 janvier 2017 | Temps de lecture : 8 minutes
© NASA — Vue aérienne de l’éclairage au sodium de la région métropolitaine

Introduction

Depuis 1990, les rues de Montréal sont éclairées la nuit par des lampes à sodium. Celles-ci émettent une lumière orangée.

Comme d’autres villes nord-américaines avant elle, Montréal songe à les remplacer par des lampes utilisant des diodes électroluminescentes (DEL).

Ce changement couterait environ 110 millions$ et s’effectuerait sur cinq ans.

Puisqu’il y a 110 000 lampadaires à remplacer, le cout unitaire du replacement serait d’environ mille dollars par lampadaire, ce qui comprend 500$ de main-d’œuvre pour effectuer l’opération.

Cela permettrait de réduire de moitié la facture d’électricité nécessaire à l’éclairage des rues et des trottoirs (estimée à 12,9 millions$ annuellement) en plus de réduire de 55% les frais d’entretien.

Sur vingt ans, cela représenterait des économies de 278 millions$… en supposant qu’une nouvelle technologie irrésistible ne vienne pas remplacer celle-ci dans l’intervalle.

DEL à 4000°K vs DEL à 3000°K

Les lumières à DEL qui se distinguent par la couleur qu’elles émettent. Tout comme un grand nombre de villes nord-américaines, Montréal s’apprête à se doter d’un éclairage urbain à DEL dites ‘blanches’.

Cette blancheur est très relative. La lumière des DEL à 4000°K — celles que se propose d’acheter la ville — est en réalité une lumière à 4075°K : cette température est presque identique à la température de la lumière de la lune (4100°K à 4150°K).

Les DEL à 3000°K — l’alternative proposée par ceux qui s’y opposent — émettent une lumière lugubre semblable à celle des lampes à sodium (2600°K, à gauche sur la photo ci-dessus). 3000°K correspond à la moyenne entre la lumière lunaire et celle des bougies (1850°K).

La nocivité de la lumière bleue

Toute la controverse relative à l’éclairage urbain à DEL repose sur la nocivité de la couleur bleue.

Celle-ci représente 29% de la lumière émise par les DEL à 4000°K et 21% de celle émise par les DEL à 3000°K.

En comparaison, les écrans des ordinateurs utilisés pour la retouche photographique sont calibrés à 6500°K et émettent environ 50% de lumière bleue.

Ceux qui s’opposent à l’achat des DEL blanches invoquent la mise en garde de l’Association médicale américaine (AMA) au sujet des dangers de l’excès de l’exposition à la lumière bleue.

En réalité, l’AMA n’a jamais pris position ni recommandé les DEL à 3000°K, contrairement à ce qu’affirment beaucoup de sites web.

L’imbroglio vient du fait qu’un comité de l’AMA a suggéré que cette association recommande un éclairage urbain à 3000°K ou moins.

Mais l’AMA a décidé de ne pas donner suite à cette suggestion, probablement parce que les preuves cliniques invoquées par ce comité concernaient les écrans d’ordinateur, les tablettes électroniques et l’éclairage domestique (lignes 27 à 29 du rapport) et non l’éclairage urbain à DEL.

Conséquemment, l’AMA a préféré déconseiller la luminosité intense de tout éclairage urbain riche en lumière bleue (high-intensity LED lighting).

Pour l’AMA, il faut éviter l’éblouissement (glare) par de la lumière bleutée. Ce qui tient compte à la fois de l’intensité lumineuse, de sa température et de la distance entre la source lumineuse et le sujet.

Dans les faits, les luminaires urbains provoquent rarement de l’éblouissement sauf lorsqu’ils sont placés trop près des citoyens ou lorsqu’ils sont trop puissants.

Synthèse additive vs synthèse soustractive

Sur une page blanche, si on pointe trois faisceaux lumineux, l’un rouge, l’autre vert et le dernier bleu, leur rencontre sur cette page créera un point lumineux blanc.

Par contre, si on prend trois crayons de couleur, l’un rouge, l’autre vert et le dernier bleu, et qu’on crayonne au même endroit sur cette page, on créera une tache brune.

Il existe donc une différence fondamentale entre la lumière en mode additif (celle des rayons lumineux) et la lumière en mode soustractif (celle des pigments des crayons de couleur).

Lorsque nous parlons d’éclairage urbain, nous devons donc distinguer les sources de lumière — qui sont en mode additif — des objets éclairés qui, eux, sont en mode soustractif.

La nuit, sur la rue, l’immense majorité de la lumière qui parvient à nos yeux est celle, indirecte, qui rebondit des objets éclairés par des luminaires et non, directement, de celle émise par ces derniers.

Spectre lumineux d’un DEL à 4000°K

La nuit, les objets blancs ou gris sont les seuls qui réfléchissent l’ensemble du spectre de la lumière blanche qu’ils reçoivent.

Par contre, un mur de brique sera foncé parce que ses pigments absorbent la lumière. Et il nous apparait rouge parce que la partie de la lumière qu’il réfléchit à nos yeux est essentiellement rouge.

Conséquemment, s’il est vrai que la lumière des DEL à 4000°K contient 29% de lumière bleue et que celle des DEL à 3000°K en contient 21%, cela n’est plus vrai de la lumière une fois réfléchie par les objets qu’ils éclairent.

À l’opposé de la lumière urbaine réfléchie la nuit par les objets, nous regardons directement une source lumineuse située à une courte distance lorsque nous sommes devant l’écran de nos ordinateurs.

En tenant compte de tout cela, la Direction régionale de santé publique concluait : « Étant donné que les citoyens passent une plus grande partie de leur soirée à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur résidence, il est évident que l’exposition à la lumière bleue provenant des luminaires de rue DEL à 4000°K est minime.»

Essentiellement, la dangerosité des DEL à 4000°K est une légende urbaine; il n’existe aucune étude scientifique sérieuse qui prouve le danger chez l’humain de l’éclairage urbain par des DEL à 4000°K.

Ceci étant dit, il est raisonnable de présumer que la lumière bleue émise par les DEL affecte le cycle circardien comme le font d’autres sources lumineuses. Toutefois, on doit considérer que dans l’ensemble de notre exposition à la lumière bleue, les lampadaires y contribuent marginalement.

Les dangers de l’observation prolongée des sources lumineuses à DEL

Les luminaires bas (sous le feuillage des arbres, par exemple), représentent un cas particulier.

Là où on peut anticiper que des citoyens pourraient observer directement la source lumineuse pendant une période de temps prolongée (dans des parcs, sous des viaducs, etc.), il faut éviter à tout prix les luminaires omnidirectionnels.

L’ajout d’un rhéostat peut corriger l’éblouissement mais il ne corrige pas l’exposition rétinienne à la lumière bleue puisque la réduction de l’intensité lumineuse sera compensée par l’ouverture de la pupille de l’observateur.

La solution est de recourir à un éclairage indirect à DEL qui soit incapable de provoquer de l’éblouissement.

Dans le cas des parcs, il faut que l’observateur ne voit que la lumière réfléchie par une surface matte dont la couleur pourra être modifiée en fonction du pourcentage de lumière bleue qu’on veut lui faire absorber (Note : cliquez sur l’image ci-contre pour l’agrandir).

Dans le cas d’un viaduc, il suffit également d’un éclairage indirect et de peindre de la couleur appropriée le plafond du passage emprunté par les usagers.

Conclusion

Depuis des dizaines de milliers d’années, les êtres humains sont exposés la nuit à de la lumière réfléchie par la lune dont la température correspond grosso modo à celle émise par les DEL à 4000°K.

De leur côté, DEL à 3000°K émettent une lumière dont la couleur ne correspond à rien parmi les sources lumineuses naturelles.

Ceci étant dit, les quantités de lumière bleue émises par les DEL à 4000°K et à 3000°K sont dans le même ordre de grandeur.

Cette lumière est néfaste lorsqu’on regarde directement et longuement la source lumineuse. Mais cela n’a presque pas d’importance lorsqu’on regarde la lumière réfléchie par des objets usuels dans l’espace public.

En somme, l’important est moins la température de la lumière émise par les lampadaires que l’intensité et la manière dont ces derniers font rayonner cette lumière. Ce qu’il faut minimiser, ce sont les occasions où les citoyens regardent directement la source lumineuse.

Concrètement, pour l’immense majorité de la population, l’exposition à la lumière bleue par le biais des luminaires de nos villes représente moins de 1% de l’exposition par le biais des écrans de nos appareils mobiles.

Références :
AMA Adopts Guidance to Reduce Harm from High Intensity Street Lights
Color temperature
Éclairage de rue aux diodes électroluminescentes (DEL)
La lumière bleue est-elle dangereuse ?
La lumière bleue et notre santé
Lampadaires à DEL: sans danger à Montréal, écartés à Toronto
LED street light
Les ampoules DEL dangereuses pour les yeux?
Projet de mise à niveau de l’éclairage de rue à Montréal
Report of the Council on Science and Public Health

Paru depuis :
Lumière bleue et dégénérescence maculaire (2018-02-05)

Sur le même sujet :
Effets sur la santé humaine et sur l’environnement des LED
L’obsolescence de l’éclairage urbain
Toulouse, les économies d’énergie, et l’éclairage à DEL

Un commentaire

| Technologie, Urbanisme | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel