La contrebande de mon père

Publié le 21 avril 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Les quotas

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, le sucre — comme beaucoup de denrées importées — était l’objet de quotas.

À l’époque, le sucre était produit dans les Caraïbes, plus précisément à Cuba, à Haïti et en République dominicaine. Les bateaux en provenance de ces pays déchargeaient leur cargaison dans les ports des provinces maritimes et du Québec.

Puisque la Voie maritime du Saint-Laurent n’avait pas été construite, aucun navire ne pouvait aller plus loin que Montréal.

Dès le déchargement, les douaniers canadiens répartissaient les arrivages en fonction des quotas provinciaux établis par Ottawa.

Dans le but de favoriser les confiseries et les chocolateries ontariennes, Ottawa avait fixé des quotas généreux pour l’Ontario et des quotas très stricts pour le Québec.

Si bien que les entreprises qui fabriquaient des friandises et des desserts au Québec étaient incapables de répondre à la demande et perdaient leur clientèle au profit des entreprises ontariennes.

Par contre, certaines petites confiseries ontariennes avaient tellement de sucre qu’elles n’arrivaient pas à l’utiliser complètement.

Elzéar Martel & Cie

Au début du XXe siècle, mon grand-père avait fondé à Joliette une confiserie sous son nom.

À l’époque, les grandes banques à charte fédérale faisaient du prêt hypothécaire mais n’accordaient presque jamais de prêts à des entreprises appartenant à des Québécois francophones, présumés mauvais en affaires.

La carrière d’entrepreneur de mon grand-père avait été rendue possible grâce à un prêt des Caisses populaires Desjardins, les seules à financer les petits commerces québécois.

Moule en caoutchouc pour les chocolats d’Elzéar Martel

Au fil des années, la confiserie familiale en était venue à approvisionner en sucreries toutes les épiceries de la région.

Toutefois, à l’arrivée de la guerre, elle fut frappée durement par les restrictions liées à l’approvisionnement en sucre.

La solidarité des Canayens

Mon père était le gérant de la confiserie de son père à lui (donc de mon grand-père paternel). Or papa s’était lié d’amitié avec un confiseur francoOntarien qui était incapable d’écouler tout le sucre auquel il avait droit.

Périodiquement, mon père se rendait donc dans le Nord-est ontarien — où était situé son ami — afin d’y faire ses provisions de sucre.

Le plus court chemin était de longer la rivière des Outaouais du côté québécois et de traverser en Ontario en franchissant le pont qui relie Hull à Ottawa.

Mais ce pont était sous surveillance militaire.

Cette surveillance servait non seulement à protéger le parlement canadien de commandos ennemis, mais surtout à empêcher des malfaiteurs pires qu’eux; ces contrebandiers sans scrupule qui contournaient les quotas établis par le fédéral pour le bien du pays…

Mon père partait donc au volant d’un camion non identifié et traversait le pont de nuit, de préférence lors d’une nouvelle lune.

Il arrivait chez son ami au milieu de la nuit, s’empressait de transborder la marchandise et revenait aussitôt au Québec puisque les militaires devenaient plus nombreux le jour, quand le pont était achalandé.

S’il s’était fait prendre, mon père et son complice auraient été passibles d’une peine d’emprisonnement pour s’être livrés à la contrebande.

Conclusion

Cette anecdote, vous ne la lirez pas dans les grands livres d’histoire.

Elle est typique de ces innombrables mesures discriminatoires dont le Québec est victime depuis plus de 150 ans et qui ne cesseront que le jour où nous assumerons notre propre destin.

Complément de lecture : Le colonialisme économique ‘canadian’

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Un commentaire à La contrebande de mon père

  1. André dit :

    Je suis né deux semaines après la victoire des Russes à Stalingrad.

    Dans la salle à manger, il y avait un grand divan rouge. Je me souviens avoir vu mon père déposer du sucre dans une cachette sous le divant… Il venait peut-être de Joliette.

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