Les grandeurs et les misères de la Démocratie

Publié le 21 mars 2018 | Temps de lecture : 9 minutes

Introduction

On dit généralement que l’Histoire n’a pas de sens. En réalité, la marche de l’Histoire est erratique. Mais à trop l’observer de près, on finit par perdre de vue l’essentiel.

Si vous et moi n’avions vu de La Joconde de Léonard de Vinci que des photos prises au microscope électronique, personne ne devinerait que ce tableau représente une femme.

L’Histoire, c’est La Joconde. Et l’actualité, ce sont ces photos au microscope électronique.

Le sabotage électoral

Selon l’économiste Paul Collier, la Démocratie amplifie le risque, déjà important, de violences (assassinats, émeutes, guérillas, guerre civile, etc.) dans les pays les plus démunis.

Le seuil de tolérance est un revenu annuel autour de 2 700$ par personne. Au-delà, la Démocratie parlementaire est un actif. En dessous, elle est dangereuse.

Malheureusement, la majorité des pays africains se trouve sous ce seuil de tolérance.

Dans les pays ‘intermédiaires’ (en matière de richesse), de plus en plus de chefs d’État élus se transforment en tyrans au fur et à mesure de leur exercice du pouvoir.

On emprisonne les dissidents. On transforme la presse en encensoir du régime. Et quand arrive le scrutin, le peuple en vient béatement à réélire le ‘père de la Nation’.

Les pays riches ne sont guère mieux.

Des entreprises comme Cambridge Analytica collectent les caractéristiques de millions d’utilisateurs des médias sociaux afin de les manipuler à voter selon ce que souhaitent ses clients.

À l’Étranger, on crée des centres de propagande secrets où des centaines d’employés ont le mandat d’argumenter sur les médias sociaux et les sites web de divers quotidiens en vue d’orienter l’opinion des lecteurs.

À cette fin, ils disposent d’une banque d’arguments préparés par des idéologues, et qu’ils utilisent par couper-coller. Ce qui favorise leur efficacité.

De plus, dans presque tous les pays démocratiques, le financement politique n’est rien d’autre que de la corruption légalisée.

Théoriquement, la personne politique est mandataire du peuple. C’est précisément parce que le peuple a voté pour cette personne que celle-ci a été élue.

Mais en réalité, l’élu est redevable à ceux qui lui ont donné les moyens financiers de convaincre son électorat.

C’est à donc à dire que la Révolution française — qui a remplacé les dirigeants héréditaires par des dirigeants élus par le peuple — est une révolution incomplète.

À quoi sert le pouvoir de choisir ses dirigeants si, dès qu’ils sont élus, on découvre qu’ils sont à la solde d’intérêts particuliers ?

Voilà pourquoi les lois qui encadrent le financement des partis politiques — comme c’est le cas à Québec et à Ottawa — sont les compléments indispensables à la Révolution française.

La démocratie directe

En 2016, des chercheurs de l’université Harvard avaient découvert que beaucoup de Milléniaux — ces jeunes occidentaux nés entre 1980 et 2000 — ne croient plus en la valeur de la Démocratie.

Un coup d’État dans un pays démocratique n’est condamnable qu’aux yeux de 19% des Milléniaux américains et de 36% de ceux en Europe.

En 1995, seulement 16% des jeunes Américains jugeaient que la démocratie était un mauvais système politique pour leur pays. Vingt ans plus tard, 26% des Milléniaux américains jugent sans importance le droit de choisir ses dirigeants politiques.

Après avoir longtemps limité l’utilisation des médias sociaux à des fins narcissiques ou au développement des relations interpersonnelles, on a dernièrement découvert qu’ils sont de formidables outils de démocratie directe.

Alors que pendant des décennies, les tribunaux civils ont été impuissants à punir les comportements sexuels inappropriés, il aura suffi de quelques mois au mouvement #MeToo (en français #BalanceTonPorc et #MoiAussi) pour provoquer la déchéance immédiate de piliers du milieu des arts et du spectacle.

Contrairement aux tribunaux civils, le mouvement #MeToo n’oppose pas simplement la parole d’une victime à celle de son agresseur. Devant le Tribunal de l’opinion publique, ce qui rend la preuve accablante, c’est le poids cumulatif du témoignage de toutes ces victimes qui sortent soudainement de l’ombre et qui pointent unanimement un doigt accusateur vers le même accusé.

De la même manière, les étudiants d’un lycée américain ont, grâce au mouvement #NeverAgain, fait trembler le socle du plus puissant lobby d’armes américain. Du jamais vu.

Grisées par la découverte de l’impact politique des médias sociaux, beaucoup de personnes en viennent à croire que l’action directe est plus efficace pour réaliser la volonté populaire que d’attendre auprès des élus pour ce faire.

En réalité, si le Tribunal de l’opinion publique peut être impitoyable pour ceux qui vivent de l’estime du public (notamment les artistes), il est inefficace contre les chefs d’État et ceux dont le pouvoir peut difficilement être révoqué.

C’est ainsi que même si des centaines de femmes accuseraient Donald Trump de les avoir agressées sexuellement, beaucoup de ses admirateurs n’y verraient qu’un complot politique orchestré par ses adversaires. Qui en Russie croit que Poutine est un despote ? Qui en Turquie le pense d’Erdoğan ? Et qui en Égypte le pense du général al-Sissi ?

Aussi redoutable soit-il, le Tribunal de l’opinion publique est impuissant contre l’aveuglement volontaire.

La Démocratie en perspective historique

Depuis sa naissance dans l’Antiquité, la Démocratie fut un long travail en cours d’élaboration. Une élaboration chaotique, marquée par de longues périodes obscurantistes contrastant avec de soudaines avancées.

Dans la Grèce antique, seuls les citoyens avaient le droit de vote. Ce qui excluait les femmes et les esclaves.

Entre la démocratie grecque et la création de la république des Provinces-Unies (en 1581), que d’asservissements sous le joug d’innombrables tyrans. Pourtant, la Révolution française raviva l’espoir que le peuple pouvait décider de son sort.

Si la défaite napoléonienne fut une occasion de célébrer pour l’aristocratie et la haute bourgeoisie financière européennes, la Révolution russe fit accéder au pouvoir une proportion beaucoup plus grande de la population que ne l’avait fait la Révolution française.

Alors que les mouvements anarchistes et les grèves se multiplient en Europe, une haute bourgeoisie se laisse convaincre d’améliorer les conditions de vie des ouvriers réduits à la misère par l’industrialisation. Plutôt que de compter sur la charité des institutions religieuses, on laissera les États se doter d’un pouvoir de redistribution de la richesse. C’est la naissance de l’État-providence.

Mais beaucoup plus tard, l’effondrement du bloc communiste fit disparaitre l’épée de Damoclès qui menaçait les possédants de nos sociétés. C’est le retour du chacun pour soi. Et le chacun pour soi, c’est toujours la victoire du plus fort sur le plus faible.

Profitant du fait que les achats de titres financiers ne sont pas taxés (contrairement à tout autre achat), le grand capital instaure une fluidité des capitaux qui lui permet d’exacerber la concurrence entre les États et d’obtenir des avantages qui, dans les faits, le soustraient des charges de l’État, de plus en plus supportées exclusivement par la classe moyenne de nos sociétés.

Et le complexe militaro-industriel, grand financier des caisses électorales des dirigeants politiques des pays les plus puissants, incite ces derniers à faire la guerre aux pays qui s’opposent à l’ouverture de leur marché et au pillage de leurs ressources.

Pour se soustraire à la colère du peuple exclu du partage de la richesse, on dévie cette colère contre des boucs émissaires incapables de se défendre : les immigrants, les femmes musulmanes, et les assistés sociaux.

Pour consolider un ordre social de plus en plus défavorable au peuple, les États acquièrent des moyens de surveillance et de contrôle inouïs sous le prétexte de la lutte au terrorisme. Parallèlement, l’extrême droite anglo-saxonne se dote des outils informatiques nécessaires à la manipulation de l’opinion publique.

Il est donc facile d’en conclure que la démocratie est menacée. Il est indéniable qu’elle l’est.

Toutefois, nos États modernes sont des colosses aux pieds d’argile. Privés des revenus qui leur échappent par la réduction de la fiscalité des entreprises et l’évitement fiscal qu’ils ont autorisé, nos dirigeants se sont soumis d’eux-mêmes à une cure d’austérité qui les prive des bras et de la compétence des employés du secteur public.

De plus, nos dirigeants ont entaché la respectabilité de leurs fonctions. Volontairement ou non. Donald Trump par ses propos outranciers. Justin Trudeau en se ridiculisant à l’occasion d’un voyage en Inde. Theresa May par son impuissance à dominer les querelles intestines de son cabinet au sujet du Brexit. Et ainsi de suite.

Par contre, jamais la population de nos pays n’a été autant éduquée. De plus, jamais n’a-t-elle disposé de moyens aussi puissants et aussi simples de se mobiliser instantanément. Il faut être aveugle pour ne pas réaliser le potentiel explosif de la situation dans laquelle nous vivons.

À mon avis, les mouvements #MeToo et #NeverAgain sont annonciateurs d’un nouvel ordre social où les populations de nos pays deviendront sourdes à la propagande de nos dirigeants politiques et à celle des médias traditionnels, pour ne compter que sur le gros bon sens.

Or rien n’est plus imprévisible qu’un peuple guidé par son gros bon sens…

Références :
« Dans les pays africains les plus démunis, la démocratie amplifie le risque de violences »
Harvard research suggests that an entire global generation has lost faith in democracy
Histoire de la démocratie
Have millennials given up on democracy?
La démocratie, qu’ossa donne?
#MeToo ou l’explosion de l’autocuiseur
Petite histoire de l’État moderne
What is Cambridge Analytica? The firm at the centre of Facebook’s data breach
The Russian troll factory at the heart of the meddling allegations

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