Historique
Il y a moins d’une semaine, la Cour suprême du Canada, par la voix de la juge en chef Beverley McLachlin, confirmait unanimement la décision rendue il y a trois ans par la juge Susan Himel, de la Cour Supérieure de l’Ontario. Cette dernière avait déclaré inconstitutionnels trois articles majeurs du Code criminel canadien entourant la prostitution.
Depuis longtemps, la prostitution est légale au Canada. Toutefois comme toute activité légale, elle peut être sujette à des limites dictées par l’intérêt public.
Ce que le gouvernement fédéral avait choisi de faire — et sur lequel les tribunaux se sont prononcés — dépassait très largement un cadre législatif visant à limiter une activité légale; le Code criminel du Canada prohibait la sollicitation dans un lieu public, la tenue d’une maison close et la possibilité de vivre des fruits de la prostitution. Bref, plus rien n’était possible. On essayait donc d’empêcher indirectement ce qu’on ne pouvait pas interdire directement.
Pour beaucoup de citoyens (hommes ou femmes), la prostitution est une activité tellement abominable qu’il leur semble impossible d’imaginer que des femmes puissent l’exercer librement. Effectivement, dans la très grande majorité des cas, les femmes sont recrutées par des souteneurs et, sous la menace ou les coups, forcées à exercer ce métier.
Apparemment, ce n’est pas vrai pour toutes les prostituées. Et c’est justement trois d’entre elles qui ont porté leur cause devant les tribunaux.
Essentiellement, ce que ces femmes disaient, c’est que l’acharnement des policiers contre les maisons closes, les agences d’escortes, et les salons de massages, jetaient les femmes à la rue. Or c’est précisément là où elles sont les plus vulnérables.
Effectivement, tous les tueurs en série qui se sont attaqués à des prostituées, ont choisi de s’en prendre à celles qui exercent dans des rues sombres. Parce que ce sont des proies faciles. Il faudrait être très imprudent pour s’adresser à la réception d’un bordel — même en se présentant sous une fausse identité — puisque cela laisse des traces, cela laisse des témoins qui peuvent ultérieurement fournir une description et des indices à des enquêteurs.
De 70% à 90% des prostituées ont subi des agressions physiques. Leur taux de mortalité est quarante fois supérieur à la moyenne nationale.
Donc les tribunaux ont cassé la législation canadienne parce qu’essentiellement, elle jette les prostituées à la rue et, conséquemment, viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ».
Les leçons de l’Histoire
Lorsqu’une prostituée s’est approchée de Jésus de Nazareth, certains de ses disciples ont été scandalisés de voir que celui-ci ne la rejetait pas. « Qui se ressemble s’assemble » murmurait-on. Et pourtant, selon le récit sensuel du Nouveau Testament, Jésus s’est laissé répandre des parfums sur les pieds et a laissé cette prostituée essuyer le tout de ses cheveux.
Indépendamment de toute considération quant à la nature divine (ou non) de Jésus de Nazareth, je crois que nous devons, tout comme lui, faire la distinction entre le péché et la pécheresse.
La prostitution a pratiquement toujours existé et elle existera toujours. Autrefois, là où la prostitution n’existait pas, du moins officiellement, c’était qu’elle s’était généralisée dans la sphère domestique. En effet, les historiens parlent de sociétés primitives où il était coutumier d’offrir, en signe d’hospitalité, sa femme ou sa fille au visiteur pour la nuit. C’était le cas (et ce l’est peut-être encore) chez les Inuits du Groënland. Il faudrait être naïf pour imaginer que ces femmes aimaient servir de bonbon à n’importe quel passant.
Bref, des siècles et des siècles de répression se sont soldés par l’échec. Quelles que soient les approches, la prostitution persiste parce qu’elle répond à un besoin. Et pour répondre à ce besoin, des millions de femmes ont été majoritairement forcées à cet esclavage. Toutefois dans une minorité, elles ont exercé ce métier par choix.
Pour une approche différente
L’approche que je propose repose sur deux principes : la sécurité et la liberté.
La putain de rue doit exercer ailleurs
Jusqu’à tout récemment, la cuisine de rue était illégale à Montréal. De manière analogue, il serait justifié — pour les raisons de sécurité invoquées par la Cour suprême — d’interdire toute sollicitation de prostituées dans un lieu public. En contrepartie, cette activité serait permise dans des maisons closes.
Ces établissements devraient être régis comme tout autre commerce. Ils devront donc respecter le zonage et s’établir le long des rues où les commerces peuvent s’implanter.
De plus, des limites quant aux heures d’ouverture pourraient être imposées afin que garantir la quiétude du voisinage.
Permis d’exercice et permis d’exploitation
Les bordels, les agences d’escortes et les salons de massages devront disposer d’un permis d’exploitation.
Les établissements dans lesquels le client doit se déplacer afin de recevoir un service — les bordels et les salons de massage notamment — devront répondre à des exigences minimales en matière de sécurité.
Des caméras de surveillances devront enregistrer tous les déplacements dans les aires publiques de l’établissement. En plus des prestateurs de service, le personnel en service doit comprendre une personne dédiée à l’accueil qui enregistre le temps de chaque prestation, de même que celle qui le dispense et les frais qui auront été exigés.
L’identification formelle du client ne sera pas exigée puisque le but du modèle que je propose est ni d’encourager la prostitution, ni de le décourager.
Dans le but de favoriser l’autonomie financière de la prostituée et d’empêcher que les souteneurs ne se fassent passer pour de simples agents de sécurité, il devrait être interdit à ces établissements de verser à un administrateur ou à un employé se soutient, un salaire supérieure à la moyenne du revenu versé aux prostituées de l’établissement.
En plus du permis d’opération délivré à l’établissement, un permis d’exercice devrait être détenu par chaque praticienne.
Suivi sanitaire et sécuritaire
Chaque prostituée devrait subir un examen médical à intervalles fixes destiné à s’assurer qu’elle ne soit pas porteuse de maladies transmissibles et qu’elle ne porte pas de marques de coups.
Puisqu’il est impossible de distinguer la prostituée violentée par un client, de la prostituée violentée pour la forcer à exercer ce métier, toute violence physique devrait être jugée suspecte.
Tout établissement dont les praticiennes portent un taux jugé anormalement élevé de traces de violences physiques mineures devrait recevoir l’avertissement de prendre les mesures appropriées pour mieux protéger ses employées.
Toute marque de violence majeure (une fracture osseuse, par exemple) entraine automatiquement la suspension temporaire du permis de l’établissement à moins qu’on prouve, hors de tout doute raisonnable, que cet accident n’est pas relié au travail. Toute récidive pourrait entrainer la révocation définitive du permis d’exploitation.
Dans le but de l’obtention ou du renouvellement du permis d’exercice, la prostituée devrait être rencontrée hors de son milieu de travail, de préférence dans un bureau officiel.
Cette entrevue vise non pas à s’assurer qu’elle exerce ce métier de son plein gré puisqu’on n’aura jamais la certitude que la praticienne dit vrai. L’entrevue visera plutôt à offrir le support immédiat de l’État à toute prostituée qui exprime le souhait de se retirer du métier.
Conclusion
L’approche proposée ici repose sur une politique de réduction des méfaits. Tout comme on fournit la méthadone aux Narcomanes afin d’éviter qu’ils ne commettent des vols à main armée dans le but de se procurer l’argent pour s’acheter leur drogue, il s’agit ici de tout mettre en œuvre pour réduire la violence faite aux femmes qui se prostituent.
Il ne s’agit donc pas de combattre la prostitution puisque des siècles de répression ne font que la réduire à la clandestinité.
Références :
Cour suprême et prostitution – Un vrai bordel!
La criminalisation de la prostitution est inconstitutionnelle
La légalisation de la prostitution au Canada
Parus depuis :
Prostitution: pense-t-on aux clientes? (2014-02-27)
Prostitution – Combattre le stigmate de la pute (2014-03-06)
Bilan sévère des effets de la loi de 2016 sur la prostitution (2018-04-12)
La prostitution, stratégie de survie dans le Montréal du XIXe siècle (2021-04-09)
Belgium’s sex workers win maternity pay and pension rights in world first (2024-12-01)
Qu’il est dur, le sujet !
Entre lois, bonbons et fruits défendus…
Et depuis que le Monde est Monde, plus on interdit, plus on a envie d’y goûter…