Après le transport maritime, le transport par train est le moins dispendieux. C’est ainsi que les entreprises touchées par l’arrêt des activités de la compagnie responsable de la catastrophe de Lac-Mégantic, devront débourser des millions$ supplémentaires pour acheminer leur marchandise par camion.
Il ne fait aucun doute que la dérèglementation de l’industrie ferroviaire, entamée bien avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper — mais qui s’est considérablement amplifiée depuis — avait pour but de réduire les coûts de cette industrie et de favoriser la compétitivité de l’économie canadienne.
Malheureusement, ceci s’est fait au détriment de la sécurité du public, avec les conséquences qu’on sait. Depuis la catastrophe de Lac-Mégantic, plus rien ne justifie la capitulation de l’État devant ses responsabilités.
Même si le gouvernement Harper décidait de mettre en application les recommandations nécessaires qu’il a ignorées jusqu’ici, les coûts supplémentaires entrainés par leur mise en œuvre ne devraient pas modifier le rôle stratégique du transport ferroviaire dans l’économie canadienne.
Dans bien des cas, les moyens utilisés seront d’ordre technologique. Par exemple, si on devait interdire le stationnement d’un train laissé sans surveillance, la solution ne sera pas le retour aux wagons de queue dans lequel un surveillant passait la nuit : on utilisera plutôt des capteurs et des caméras de surveillance infrarouges qui renseigneront en temps réel un centre de contrôle à l’affût.
De plus, on prévoira des moyens d’intervention destinés à arrêter un méfait sur le point d’être commis plutôt que de se contenter de le documenter à posteriori comme le font la très grande majorité des caméras de surveillance à travers le monde.
Mais le problème le plus coûteux à résoudre et le plus fondamental est l’état du réseau ferroviaire.
Nos voies ferrées datent de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe. Le 9 décembre 2011, un train bimode a déraillé en pleine gare centrale à Montréal alors qu’il y circulait à moins de 10 km/h : une voiture a penché sur le côté et la locomotive neuve s’est inclinée contre le quai. Le poids des locomotives et l’état des rails expliquent cet incident.
De nos jours, les locomotives sont plus puissantes, circulent plus vite, et traînent une suite interminable de wagons plus lourds. Bref, il faut refaire presque complètement le réseau ferroviaire canadien.
Je suggère donc que le gouvernement Harper renonce à acquérir des avions de chasse F-35 et attribue les sommes économisées à la mise à niveau du réseau ferroviaire canadien.
L’achat des F-35 représente une dépense de 45 milliards$ dont seulement 450 millions$ (soit 1%) seront dépensés au Canada. Les retombées économiques totales sont estimées à dix milliards, soit une perte de 78% pour l’économie canadienne.
La mise à niveau du réseau ferroviaire nécessitera l’achat de traverses en bois canadien, de rails fondus au pays, et l’embauche de travailleurs d’ici.
Je propose également qu’on profite de l’occasion pour installer deux séries de rails : une compatible avec les trains existants, et une autre — de part et d’autre de la précédente — pour assurer la stabilité des trains à grande vitesse (TGV), entre autres, dont le pays aura besoin inévitablement à l’avenir pour le transport des passagers.
Tout comme le métro, les rails plus larges fourniront l’alimentation électrique aux moteurs, ce qui évitera aux trains électriques d’être équipés de lourdes piles. Seuls ces derniers seront autorisés à emprunter les voies plus larges, obligatoires pour le transport des matières dangereuses partout où ces voies auront été installées.
Dans certains pays, on s’est contenté d’acheter des trains à grande vitesse dont l’empattement était identique aux trains conventionnels et ce, afin d’assurer leur compatibilité avec le réseau ferroviaire existant. Ceci est une erreur.
En planifiant dès le départ la double vocation du réseau, le Canada se prépare au futur. En agissant vite, ce nouveau standard deviendra de facto celui de l’ensemble de l’Amérique du Nord. Si le gouvernement américain devait songer par la suite à établir son propre standard, l’industrie elle-même protesterait.
Quant à la nécessité de construire des TGV tout spécialement pour un tel empattement, cela n’est pas un problème puisqu’il s’agit toujours d’un travail fait sur mesure.
Je n’ignore pas les difficultés qu’une telle suggestion peut représenter en ce qui concerne les ponts suspendus. Voilà pourquoi des sommes importantes devront être consacrées à ce projet, réalisé sur plus d’une décennie.
Dans le cas des tunnels — comme celui du Mont-Royal — cela sera tout simplement impossible, rendant leur traversée réservée aux vieux trains conventionnels.
D’autre part, le réseau devra être redessiné pour être plus rectiligne et pour prévoir des courbes qui devront être inclinées pour accommoder la vitesse accrue des TGV mais qui ne le seront pas au point de faire basculer un train conventionnel qui s’y arrêterait.
De plus il faudra interdire le transport de matières dangereuses dans des wagons aux parois sujettes à la perforation, qu’on réservera au transport du grain, par exemple.
Quand à la prévention des catastrophes, Transport Canada comptabilise annuellement 20 000 inspections préventives effectuées par ses 101 inspecteurs.
Ce nombre impressionnant d’inspections cache en réalité une cadence de travail — c’est une inspection aux deux minutes — qui ne permet pas autre chose qu’un survol rapide des installations. Une réforme sérieuse du transport ferroviaire implique également la mise sur pied d’un système rigoureux d’inspections préventives.
Conclusion
La catastrophe de Lac-Mégantic est d’abord et avant tout une tragédie humaine. Mais c’est secondairement un désastre politique; l’aveuglement bienveillant du gouvernement Harper à l’égard de l’industrie ferroviaire trouve ici un aboutissement odieux.
Au risque de poursuites baillons, on n’hésite plus accuser publiquement ce gouvernement de porter une lourde responsabilité dans cette tragédie.
Le Premier ministre a une occasion en or de transformer son image de despote futile en celui de chef d’État qui initie les grands projets nécessaires à l’épanouissement du pays. Puisse-t-il saisir cette occasion.
En supposant que les 45 milliards$ des F-35 soient suffisants à la réforme ici proposée — ce qui n’est pas prouvé — ce projet connaitra sans aucun doute des dépassements de coûts et pourrait se transformer en gouffre financier.
Toutefois l’Histoire retiendra que cet ambitieux projet national était nécessaire.
Références :
AMT: les locomotives bimodes encore au garage
Déraillement d’un train – Le poids de la locomotive et l’état des rails en cause
Explosion à Lac-Mégantic: j’accuse!
Pourquoi acheter des chasseurs F-35 ?
Tunnel du mont Royal : un cadeau pour les terroristes
Paru depuis : Comment les compagnies ferroviaires inspectent-elles leurs chemins de fer?
Trop tard…