Luc et sa compagne avaient réservé leurs costumes des mois à l’avance. Or à deux jours de l’événement tant attendu, Annie avait attrapé une vilaine grippe qui la clouait au lit. Jusqu’au dernier moment, ils avaient espéré un rétablissement miraculeux qui ne s’est jamais produit.
— Vas-y donc sans moi.
— Que veux-tu que je fasse tout seul dans un bal masqué ?
— On a déjà payé pour la location des costumes. Vas faire un tour et tu me raconteras comment ça s’est passé.
Dès le départ de son mari, Annie s’était mise au lit et s’était aussitôt endormie.
Mais vers deux heures du matin, s’étant réveillée, elle réalisa que son état s’était grandement amélioré. Puisque son époux n’était toujours pas de retour, elle décida de se déguiser elle aussi et de lui faire une surprise en le rejoignant.
En entrant dans la maison cossue de l’avocat Jodoin où se tenait l’événement, on était assailli par les rires et les éclats de voix des invités. En s’avançant vers la grande pièce — qui faisait office de salle de bal — elle aperçoit son mari tout souriant (lui d’habitude si réservé) entouré d’une meute de jolies femmes masquées.
Sa première réaction fut d’aller le rejoindre mais elle se ravisa aussitôt. Elle se dirigea plutôt vers la toilette des femmes.
— Carole, tu me sauves la vie. Je viens de voir mon mari qui fait son petit coq devant les plus belles femmes de la maison. J’aimerais lui donner une leçon mais je ne veux pas qu’il me reconnaisse : est-ce que je peux échanger mon costume pour le tien ?
C’est ainsi que de duchesse, elle se métamorphosa en bohémienne. Cela tombait bien puisque ses appâts, originellement gainés et bordés d’une fine dentelle Louis-XV, se présentaient maintenant dans le profond décolleté d’une gitane depuis longtemps familière avec les jeux de l’amour.
La main sur la taille, en ondulant les hanches, elle s’approcha lentement vers son bel époux dont elle remarqua le haut du front lustré et les oreilles rouges qui dépassaient de son masque.
Elle prit sa place devant lui dans le cercle des femmes qui l’entouraient. À chaque nouveau morceau de musique, elle adoptait une nouvelle danse encore plus suggestive que la précédente. Peu à peu, ses collègues féminines quittaient le cercle pour différentes raisons : la fatigue, la soif, la faim, des besoins physiologiques pressants, etc.
Si bien qu’ils se retrouvèrent seuls au moment où un slow, un bon vieux slow, se fit entendre.
Sous le froissement du satin de son costume à lui, et sous les lambeaux de sa robe de clocharde, leur corps se moulèrent. À chaque pas lent dicté par le rythme, cette intimité devenait plus familière.
Leur long baiser s’achevait lorsque pris fin A Whither Shade of Pale de Procol Harum. Il tenta de lui dire quelque chose. Mais craignant que ce qu’il allait lui dire l’obligerait à une réponse qui révélerait le timbre de sa voix et conséquemment son identité, elle le réduisit au silence en mettant l’index sur sa bouche.
Il lui prit délicatement le poignet et l’entraina silencieusement dans l’escalier d’apparat qui menait aux chambres à l’étage.
Dès que la porte se referma derrière eux, ils glissèrent le long du mur et, sans retirer leurs costumes, firent l’amour sur le tapis. Puis, toujours dans la pénombre, sur le lit. Puis sur le revêtement froid du plancher de la salle de bain. Puis de nouveau sur le lit.
Profitant du sommeil de son conjoint, l’épouse s’esquive et rentre se coucher à la maison, attendant avec impatience le retour de son mari et les explications qu’il lui fournirait.
Moins de trente minutes plus tard, le voici justement.
— Ça s’est bien passé ?
— Mmmm, plus ou moins. Quand je suis arrivé, tout le monde s’amusait déjà. Je suis resté quelques instants. Mais comme la vue de tous ces couples me rappelaient ma propre solitude, j’ai décidé de rentrer à la maison…
— …oui mais il est quatre heures du matin. T’as fait quoi entretemps ?
— Ah, c’est qu’au moment de quitter, trois amis sont arrivés. Mais tout ce beau monde avait oublié que c’était un bal costumé. Puisque l’un d’eux voulait absolument rester — et comme il a le même gabarit que moi — je lui ai prêté mon costume et mon masque. Puis je l’ai laissé s’amuser pour aller prendre un verre dans un pub avec les deux autres. Voilà. Et toi, ta grippe, comment ça va ? dit-il avec son plus charmant sourire…
Je sens qu’on va bien rigoler.
Déjà, j’en ai une bonne à vous raconter. J’ai une Amie (Elle a le double d’âge que moi, cette année) qui est allée en vacances, dans sa jeunesse, dans le CANTAL (AUVERGNE), qui s’est retrouvée à la même table qu’une gamine qui était maquillée et qui lui avait dit « Je suis excitée, je vais au Bal Masqué, ohé ohé ! ». Cette phrase nous est restée et c’est la première à laquelle je pense.
La vôtre, est-elle tirée d’un film ou du Théâtre ?
Il y a deux côtés à distinguer.
Pour la femme, est-ce que ses appâts sont trop gainés et que son mari n’a plus de désir pour elle ? Je vais adapter une expression, tout en riant, y a-t’il trop de noirceur et plus de désir (Flash TV sur la fin de Noir Désir) dans leur couple ? Elle ne doit plus savoir comment faire pour séduire son mari.
Il paraît que ce sont les femmes qui arrivent toujours à provoquer « le truc ». Quand je dis à mon Mari que l’Amour se cultive, qu’il ne faut pas qu’il soit amoureux de moi qu’en vacances, qu’il faut faire pétiller l’amour…
Ce matin, j’ai bien rigolé et lui ai dit que j’en avais des bonnes à vous écrire. Lui, me répond : « Vous avez que ça pour causer ».
A la femme, de changer… peut-être ses appâts…
Le comble de cette histoire, c’est que le mari ne se rend même pas compte qu’il fait l’Amour à sa propre femme ! C’est dramatique, un homme doit bien connaître les réactions de sa femme ! Là-dessus, je ne comprends pas.
Un escalier d’apparat, c’est quoi ?
Dites moi, sans détails, comment font-ils (je ris toujours) sans retirer leurs costumes ? Ceux-ci doivent être bien encombrants !
Sur le tapis ! C’est comme sur la moquette de l’Hôtel à Vienne, ça doit gratter…
Il faut que je compte : une fois sur le tapis, une fois sur le lit -donc ils n’ont (je ris toujours) pas pris le temps de le défaire-, une fois sur le plancher de la salle de bains -donc carrelage, trop froid pour les fesses- et encore une fois sur le lit. Donc ça fait quatre fois.
Pas besoin de faire tout ce cinéma quand on a un lit de 2mx2m, comme à l’Hôtel à Vienne. On peut toujours l’essayer dans tous les sens…
Est-ce le déguisement qui lui fait revivre tant d’ardeurs ou est-il vraiment un jeune coq ? Le jeune coq a de quoi mériter un bon petit déjeuner comme à Vienne.
Il y a aussi le côté salaud du mari qui ment à sa femme.
C’est nul, le mari ne s’occupe pas et n’ a jamais sù s’occuper des désirs ni des plaisirs de sa femme.
La Morale de cette histoire est qu’en Amour, on donne avant de recevoir. On se préoccupe dejà des désirs de l’autre…
J’en conclus que le mari n’aime pas sa femme. C’est plus pour se passer son envie à lui. Il n’y a pas d’amour là-dedans. Mensonges, infidélités…, il y a tout ce qui détruit l’Amour.
L’AMOUR N’EST PAS UN AMUSEMENT !
On m’a raconté cette histoire amusante il y a plusieurs années. Je l’ai simplement réécrite avec mes propres mots.
Je me suis arrangé pour que cette histoire puisse être interprétée de plusieurs manières. Relisez le texte : si le mari dit vrai, l’épouse s’est trompée en faisant l’amour à Marcel (à qui l’époux avait prêté son déguisement). C’est une des explications possibles.
Évidemment, tout cela est de la littérature et obéit donc aux conventions du genre. C’est comme à l’opéra : c’est peut-être touchant cette triste histoire de petite tuberculeuse qui meure dans les bras son beau ténor mais connaissez-vous bien des gens qui meurent en chantant ?