La droite et la laïcité

Le 3 novembre 2018

Nature de la droite

En gros, un parti de droite est celui qui promet la prospérité économique et/ou l’amélioration de la société par le biais de l’enrichissement des riches.

Ces partis profitent des périodes de surplus budgétaire pour accorder des réductions de taxes aux riches et/ou abaisser le taux d’imposition des entreprises.

Cette réduction de la marge de manœuvre de l’État fait en sorte que, par la suite, le moindre ralentissement économique obligera tout gouvernement à réduire ses dépenses, ce qui signifie imposer des frais pour les services qui étaient gratuits ou obliger la population à aller au privé afin de les obtenir.

C’est par ce jeu de bascule cyclique qu’on déplace la richesse de la poche des pauvres vers celle des riches.

En somme, pour distinguer les partis de droite des partis de gauche, il suffit de se poser la question : où va l’argent ?

Mais puisque les partis de droite sont toujours ceux qui enrichissent le 1% au dépens du 99%, comment peuvent-ils convaincre les citoyens ordinaires de voter pour eux ?

Le moyen utilisé est la guerre interne du peuple.

Celle-ci consiste à dresser les citoyens les uns contre les autres :
• les travailleurs contre les assistés sociaux (ces derniers, lorsqu’ils ne sont pas des fraudeurs, seraient néanmoins des boulets économiques)
• les Chrétiens contre les Musulmans (ceux-ci soupçonnés de sympathies terroristes)
• les féministes de chiffon contre les femmes musulmanes (accusées d’être les porte-étendards de l’Islam politique)
• les citoyens contre les immigrants (accusés de nous envahir et pervertir nos valeurs fondamentales)
• et, de manière générale, les contribuables contre tous ceux qui crèveraient de faim (au sens propre ou figuré) sans le secours de l’État.

Les gens qui adhèrent à leur cause ne sont pas nécessairement de droite. Mais en jouant sur l’égoïsme inné dans chacun d’entre nous, sur les préjugés et une méfiance naturelle à l’égard de ce qui ne nous est pas familier, ces partis peuvent susciter l’adhésion d’une proportion suffisante de la population pour être portés au pouvoir.

Le cas du voile islamique

Un des thèmes les plus ‘payants’ de la droite au Québec est la crainte que le fondamentalisme musulman, symbolisé dit-on par le voile islamique, fasse reculer chez nous les acquis du féminisme et de la laïcité.

Voile_islamique
 
On connaît le pourcentage de Canadiennes musulmanes qui portent l’une ou l’autre des tenues vestimentaires associée à l’Islam. Toutefois, ces données ne sont pas valables pour le Québec.

Les Musulmans qui s’installent au Québec proviennent essentiellement de pays limitrophes de la Méditerranée. Ce sont des pays où le français est une langue seconde ou tierce (après le berbère et/ou l’arabe).

Lorsqu’elles sont voilées, les Musulmanes de ces pays revêtent généralement le hijab et le chador. Il est à noter les Musulmanes qui y sont vêtues à la manière occidentale sont beaucoup moins nombreuses qu’elles l’étaient il y a quelques décennies essentiellement en raison de l’influence saoudienne sur le clergé sunnite.

Par contre, les provinces anglophones accueillent davantage de gens provenant de pays du Moyen-Orient — au sens français du terme — où le voile islamique intégral est porté fréquemment.

Cas extrême, la banlieue torontoise de Peace Village est un ghetto pakistanais où vivent plus de cinq-mille femmes portant le niqab.

Au Québec, les personnes les plus hostiles au port du voile sont originaires de pays où elles ont assisté à la montée de l’intégrisme religieux. Le recul important des droits des femmes a accompagné la généralisation du port du voile, devenu nécessité sociale même pour celles qui ne sont pas musulmanes.

Ces personnes angoissent à la vue des Québécoises musulmanes qui portent le voile et y voient les signes précurseurs de ce qu’elles ont vécu dans leur pays d’origine.

Dans ces pays, les Musulmans forment l’immense majorité de la population. De ce fait, ces pays constituent un terreau immensément plus fertile à la généralisation des formes les plus rigoureuses de l’Islam qu’ici, où ils ne forment qu’une infime minorité.

Les Cassandre du recul de la laïcité sous les assauts du wahhabisme répandent une crainte excessive qui fait le jeu de la droite québécoise en dépit du fait que les plus célèbres d’entre elles — Fatima Houda-Pepin, Djemila Benhabib et Nadia Alexan — n’en font pas partie.

En réalité, dans un pays démocratique, il est impossible qu’une minorité impose sa volonté à la majorité.

Tout au plus, cette minorité peut-elle imposer le respect et obtenir des accommodements dits raisonnables.

Loin de correspondre à une ‘musulmanisation’ de la société québécoise, les accommodements accordés aux Québécois musulmans ne sont que des exceptions à des règles qui empêchent leur pratique religieuse ou l’expression de leur foi. En somme, ils se résument à vivre et laisser vivre.

Laïcité : la France vs l’Autriche

La laïcité républicaine

On dit souvent que la loi française de 1905 bannissait le port de signes religieux au sein des institutions publiques du pays. Cela est inexact.

C’est la Loi sur l’interdiction de signes religieux à l’école, adoptée en 2004 par un gouvernement de droite, qui interdit le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles, les collèges et les lycées publics.

Le qualificatif ostentatoire est important parce qu’il permet d’interdire sélectivement le voile musulman sans affecter, par exemple, les pendentifs chrétiens, plus discrets.

En 2010, la Loi sur la dissimulation du visage, adoptée par un autre gouvernement de droite, interdit le niqab et la burka dans l’espace public mais permet le foulard islamique et le chador. Cette loi, toujours en vigueur, est très peu appliquée.

Cette portée nouvelle donnée à la laïcité républicaine fut étendue en 2016 à la tenue musulmane de plage (le burkini), interdite par les villes de Nice, de Cannes et d’une trentaine d’autres villes dirigées par des mairies de droite avant que cette mesure ne soit invalidée par les tribunaux français.

Ces mesures antimusulmanes ont séduit de nombreux électeurs, tant à droite qu’à gauche.

Mais les penseurs de gauche n’ont pas cessé de critiquer ces mesures pour deux raisons.

Premièrement, en raison de leur caractère discriminatoire et xénophobe.

Et deuxièmement, parce qu’une loi qui s’attaque aux victimes présumées — et non à leurs agresseurs — est une loi mal faite.

En retour, ce qui explique l’accusation récurrente adressée par la droite aux idéologues de gauche d’être complices de l’Islam politique.

L’exemple autrichien

En février 2015, l’Autriche a adopté une loi destinée à éviter des dérives islamistes en réduisant notamment l’influence étrangère sur les mosquées et sur l’enseignement religieux dans ce pays.

D’un côté, cette loi élargit les droits des pratiquants de religion musulmane. Mais d’autre part, les imams devront être formés en Autriche grâce à un cursus théologique à l’université. Il leur faudra également maîtriser la langue du pays.

De plus, les frais de fonctionnement des institutions confessionnelles, y compris les salaires, ne pourront plus être financés depuis l’Étranger.

Dans la mesure où cette loi ne concerne que l’Islam, elle est évidemment discriminatoire.

Mais à la différence des lois françaises, la loi autrichienne ne s’attaque pas aux femmes, mais plutôt au financement de la prédication des formes les plus rigoureuses de l’Islam, dont le wahhabisme, qui sont précisément celles qui ordonnent aux femmes de revêtir le voile intégral.

Conclusion

Peut-on croire sérieusement qu’il suffit de bannir le voile islamique (intégral ou non) pour faire obstacle à l’intégrisme islamique ?

C’est en libérant l’imanat sunnite de l’emprise saoudienne et en bloquant les sites web étrangers qui en font la promotion qu’on s’attaque au port du voile intégral.

Quant aux formes anodines du voile islamique (hijab et chador), ceux qui veulent fermer le marché de l’emploi aux Québécoises musulmanes qui les portent font le jeu des islamistes qui, eux-mêmes, estiment que la place d’une femme est dans la cuisine ou à changer des couches.

Rien n’est plus contraire à l’interprétation rigoureuse de l’Islam que de travailler dans un environnement mixte — c’est-a-dire où se côtoient des hommes et des femmes — comme c’est le cas du marché de l’emploi au Québec.

C’est précisément en donnant à ces femmes l’opportunité de travailler qu’on leur accorde l’autonomie financière qui leur permet de se libérer d’un conjoint dominateur, si c’est le cas.

Qu’elles soient vêtues à l’occidental ou non, les Québécoises musulmanes sont des pionnières en train d’inventer leur manière bien à elles de concilier leur foi avec la vie en Occident.

Elles ont tout mon respect.

Et si ce regard bienveillant est intolérable aux yeux d’une poignée d’idéologues de la droite québécoise, ceux-ci doivent savoir que les gens comme moi feront toujours obstacle à leurs entreprises de dresser le peuple contre lui-même.

Références :
La gauche se trompe lourdement sur la laïcité
La laïcité républicaine
L’Autriche adopte une nouvelle loi pour encadrer l’islam
Les services à visage découvert et les droits constitutionnels
L’uniforme laïque des forces de l’ordre
Pascal Bruckner ou la victimisation illusoire
Port du voile en hausse parmi les musulmanes au Canada
Résumé de géopolitique mondiale (2e partie et fin)

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