Introduction
C’est à Montréal qu’a eu lieu la première mondiale du film iranien Muhammad.
Dans toute l’histoire du 7e art, c’est la deuxième fois qu’un film est consacré à celui qu’on appelle en français Mahomet. Le premier fut le film hollywoodien Le Message (1976), du réalisateur syrien Moustapha Akkad.
En comparaison, il y a 200 films portant sur la vie de Jésus, une centaine sur différents personnages bibliques et 42 à propos de Bouddha.
La difficulté vient du fait que la majorité des Musulmans sont sunnites et que les courants majoritaires du sunnisme contemporain interdisent toute représentation du prophète. Il s’agit d’un handicap sérieux pour tout réalisateur. C’est comme faire un film sur Dieu sans jamais le voir ni entendre sa voix.
Par contre, les Musulmans chiites, majoritaires en Iran et en Irak, permettent toute représentation respectueuse du prophète. C’était le cas dans l’ensemble du monde musulman avant que l’intégrisme saoudien s’y répande.
Dans le film, on voit du jeune Mahomet que les pieds, les mains, l’arrière de la chevelure, le bout du nez et le bas du visage (du menton au nez).
Au festival, il ne devait originellement y avoir que deux représentations puisque le film doit sortir en salle d’ici un mois. Mais à la demande générale, on a ajouté deux supplémentaires, elles aussi à guichet fermé. Au total, environ deux mille Montréalais ont déjà vu ce film.
En Iran, le film est sorti simultanément dans 57 salles. Il est question d’étendre la distribution à la moitié des salles du pays.
L’œuvre
Réalisée au coût de 40 millions $US, cette ambitieuse reconstruction historique est très crédible par le soin que sa direction artistique a apporté à la création des décors et des costumes.
Les meilleurs acteurs iraniens ont été mis à contribution pour incarner les personnages principaux et des milliers de figurants ont été embauchés pour les scènes de combat, notamment dans l’attaque de La Mecque par le général Abraha d’Abyssinie alors que cette ville est défendue par le grand-père de Mahomet
Le film frappe d’abord par la beauté de ses paysages et des villages reconstitués. Le spectateur qui n’est pas déjà familier avec la vie du prophète risque de se perdre un peu dans la multitude des rivalités tribales qui existaient à l’époque et qui ont obligé le jeune Mahomet de mener une vie errante afin d’échapper aux menaces qui pesaient sur lui en tant qu’héritier dynastique de son clan.
Toutefois, la distribution des rôles caractérise bien les bons (à l’apparence physique flatteuse) et les méchants (laids), ce qui fait qu’on s’y retrouve grosso modo dans le récit du film.
Dans le style des films hollywoodiens comme Ben Hur ou Les dix commandements, Muhammad ne se donne pas pour but de renouveler le style des films consacrés à des sujets sacrés.
Le prophète n’y est donc pas représenté comme un simple personnage historique, comme le serait César ou Bonaparte. À l’instar de la représentation cinématographique de Jésus de Nazareth, le jeune prophète — dont on suit la vie de la naissance jusqu’à 13 ans — est montré comme bon et charitable, plein d’empathie envers les faibles et les persécutés, nimbé d’un aura de lumière qui le sacralise, et porté par une trame musicale qui le glorifie.
C’est donc à la fois un film édifiant et merveilleux au sens littéral du terme (c’est-à-dire qui suscite une grande admiration en raison de son caractère exceptionnel).
D’où les reproches, adressés par les critiques occidentaux, selon lesquels Muhammad serait un film de propagande musulmane.
Un film trop musulman ?
À la suite de chacune des représentations montréalaises, le réalisateur (ici au centre) s’est prêté à une séance de photos avec les festivaliers.
En conférence de presse, il a déclaré avoir voulu casser l’image de violence associée à l’Islam et offrir un apaisement aux luttes entre Chiites et Sunnites.
« L’islam est une religion de paix, d’amour et d’amitié » a-t-il déclaré, en expliquant avoir essayé de montrer le vrai visage de sa religion. « Cela n’a strictement rien à voir avec l’image violente qui en est faite à cause de radicaux qui l’ont détournée de son sens. »
Le film se compare donc aux grands films bibliques qui connaissent une popularité ininterrompue chez nous depuis des décennies à chaque fois qu’on les présente à la télévision à l’approche de Pâques.
Est-il trop long ?
À Montréal, le film de 171 minutes est présenté dans sa version originale en farsi — c’est-à-dire en langue perse moderne ou en ‘iranien’ — sous-titrée en français et en anglais. Il a été montré à une audience composée majoritairement de Musulmans montréalais, mais également de cinéphiles curieux d’autres confessions religieuses.
Au cours de la représentation à laquelle j’ai assisté debout près de la sortie, à peine quelques personnes sont sorties au cours de la projection, essentiellement pour y revenir quelques minutes plus tard. Je présume que ces gens ont simplement été soulager des besoins naturels. Deux mamans sont également sorties par crainte que leur bébé (qui s’était réveillé) de dérange leurs voisins.
Bref, presque tout le monde — hommes, femmes et enfants — a assisté à la totalité de cette projection qui débutait à 21h et qui se terminait aux environs de minuit.
Est-il, au contraire, une insulte à l’Islam ?
Quelques jours après la sortie du film, le grand mufti d’Arabie saoudite a prononcé une fatwa contre ce film, interdisant sa projection sous le prétexte qu’on y voit le corps du prophète et que ce film serait hostile à l’Islam.
Conséquemment, dans tous les pays sunnites du Moyen-Orient, le film sera probablement interdit. Dans ces pays, les exploitants de salles de cinéma qui se risqueront à braver cette fatwa le feront au péril de leur vie puisqu’un grand nombre de croyants zélés de ces pays se croient investis de la mission de réaliser la Colère Divine.
À Montréal, les Musulmans ont été nombreux à voir ce film avant que soit connue cette fatwa. Sur les médias sociaux, leur appréciation déjà publiée contribuera à la popularité du film en Occident et, involontairement, à mettre en doute la crédibilité du grand mufti et des imams d’ici qui relaieront l’interdit saoudien.
Que ce film représente physiquement le prophète, cela est indéniable : qu’il soit hostile à l’Islam est une accusation totalement burlesque, à laquelle ne pourront croire que les fidèles naïfs qui se priveront de voir ce film remarquable.
Quant à moi, non-musulman qui ai vu cette production, je recommande ce beau film à tous les Musulmans et à tous les cinéphiles.
Références :
Entre Mahomet et tout ce qu’on voudra
Film Review: ‘Muhammad: The Messenger of God’
« Mahomet », une oeuvre « hostile à l’islam »
Muhammad biopic director calls for more movies about the prophet’s life
« Muhammad » de Majid Majidi: long, ennuyant et pompeux
Muhammad: Messenger of God review – evocative account of Islam’s gestation
Muhammad: un film religieux à l’ancienne