Baie-James vs Plan Nord

Publié le 14 août 2011 | Temps de lecture : 9 minutes

Avant-propos : Ce texte est daté du 14 août 2011 mais sa dernière section (« Développer pour développer ? ») a été complètement réécrite le 16 février 2012 et retouchée légèrement le 1er mars suivant.

 
Pour imaginer le Plan Nord — un projet ambitieux de développement du grand nord québécois — quoi de plus naturel que de le comparer avec ce qui nous est déjà familier, soit la Baie-James.

Jusqu’à maintenant, l’industrialisation et le peuplement du Québec se sont concentrés dans la vallée du St-Laurent et, accessoirement, à proximité de voies navigables comme l’Outaouais et le Saguenay.

La Baie-James et le Plan Nord concernent la partie nordique du Québec. Dans le cas du Plan Nord, il concerne le territoire au nord du 49e parallèle, soit 72% de la superficie du Québec (soit deux fois la superficie de la France).

De plus, ils concernent des investissements publics de dizaines de milliards de dollars dans des lieux originellement habités par des peuples autochtones.

L’un et l’autre sont des projets conçus par des gouvernements libéraux ; la Baie-James par le gouvernement de Robert Bourassa et le Plan Nord, par celui de Jean Charest.

Là s’arrêtent les similitudes.

La Baie-James

Les investissements relatifs à la Baie James avaient pour but l’exploitation d’une ressource renouvelable au bénéfice d’Hydro-Québec, une société qui appartient à la nation québécoise.

Une partie de l’électricité produite qui est consommée au Québec, principalement par ceux qui habitent la vallée du St-Laurent. Le reste est exportée aux États-Unis : les profits générés servent à alléger le fardeau fiscal des contribuables québécois. Sans ces profits, nous paierions encore d’avantage pour notre filet de sécurité sociale.

De plus, cette électricité relativement bon marché sert à attirer chez nous des entreprises énergivores comme des alumineries.

Le Plan Nord

Le Plan Nord prévoit des dizaines de milliards d’investissements publics au profit de compagnies minières multinationales afin d’extraire une ressource non-renouvelable.

De nos jours, la mise en service de nouvelles mines vise principalement à satisfaire les besoins gargantuesques de la Chine en matières premières.

Dans le territoire visé par le Plan Nord, on trouve d’importants gisements d’or, de diamant, d’uranium, de zinc et de cuivre à l’est. La partie nord est riche en nickel et en cuivre. À l’ouest, on retrouve des gisements de fer, de zinc, de nickel et de cuivre.

L’extraction de ces minéraux génèrera des revenus de centaines de milliards de dollars. Où ira cet argent ? En gros, à l’automatisation de la mine — en d’autres mots, à l’importation d’une machinerie lourde sophistiquée et à l’installation des logiciels spécialisés déjà en service à d’autres mines de la compagnie — aux salaires versés aux travailleurs, à l’acheminement du minerai vers les marchés et finalement, aux profits versés aux actionnaires étrangers.

En se basant sur les documents officiels, l’État dépenserait 47 milliards en provenance d’Hydro-Québec : une autre tranche de 33 milliards doit être investie dans le développement minier et les infrastructures publiques (aéroports, routes, écoles, hôpitaux, etc.). La partie payée par les entreprises se situerait entre 30 et 50%, mais rien n’a encore été précisé, nous dit-on.

Toutefois, on apprenait récemment que pour permettre à Stornoway Diamond d’accéder à des diamants dont la valeur brute est évaluée à 5,4 milliards$, il est nécessaire de prolonger la route 167 sur une distance de 240km. Normalement, cela coûterait 330 millions$ à l’entreprise. Mais grâce au Plan Nord, sa contribution est plafonnée à 4,4 millions$ par année pendant une décennie, ce qui ne couvre même pas les frais d’intérêt de l’emprunt : le reste (y compris tout dépassement de coût) sera assumé par les contribuables.

En contrepartie, nous récolterons l’impôt prélevé auprès des travailleurs non-autochtones, les impôts sur les profits réalisés par les fournisseurs de services (lignes aériennes locales, grossistes, compagnies de transport, etc.) et les redevances insignifiantes payés par les minières. En somme, selon une étude du service économique de Desjardins rendue publique plus tôt ce mois-ci, le gouvernement espère engranger 14,3 milliards en retombées fiscales sur 25 ans.

En notre nom, l’État investira 60 à 80 milliards de dollars qui en rapporteront 14 milliards. Le Plan Nord porte donc à un niveau inégalé le pillage du Trésor public au bénéfice d’intérêts privés.

Le volet environnemental du Plan Nord

Vendredi dernier, le ministre de l’Environnement annonçait que 50% du territoire visé par le Plan Nord serait protégé dans 25 ans du développement industriel.

Le ministère entend faire passer les aires protégées de 12% actuellement à 17% en l’an 2020. Il s’agit d’une extrapolation puisque cet accroissement est semblable au rythme qu’a connu le Québec au cours de la dernière décennie.

De plus, il annonce qu’un comité sera mis sur pied pour conseiller le gouvernement sur le choix des aires à protéger. Par cette annonce, le ministre révèle involontairement l’amateurisme et l’improvisation du gouvernement libéral dans ce dossier.

En effet, on aurait pu s’attendre à ce que ce ministère — en consultation avec les peuples qui habitent ce territoire — ait d’abord déterminé les critères de protection, puis ait ratissé cette partie du Québec afin de connaître la proportion qui répond aux critères.

Au lieu de cela, le ministre annonce 50% sans savoir pourquoi. Le comité devra donc trouver du terrain afin de justifier a posteriori les chiffres du ministre.

Bref, c’est pas fort.

Développer pour développer ?

L’exploitation minière est le contraire du développement durable : elle consiste à creuser le sol, à y extraire du minerai et à abandonner le tout à l’extinction du filon ou lorsque la mine cesse d’être rentable.

À long terme, la principale menace à la rentabilité des mines du Plan Nord, c’est la découverte de nouvelles mines situées plus près des marchés d’exportation. En effet, dès qu’on découvrira du minerai en Mongolie, en Sibérie ou dans n’importe quelle partie d’Extrême-Orient, les mines québécoises nées pour répondre aux besoins de la Chine et de l’Inde deviendront non-rentables.

Sur les 25 ans du Plan Nord, la seule certitude que nous ayons est que le coût du mazout deviendra de plus en plus onéreux rendant le transport maritime du minerai prohibitif sur de très longues distances : or, par rapport à la Chine ou l’Inde, le Québec, c’est l’autre bout du Monde. Les mines nées du Plan Nord ont donc une vulnérabilité que n’avaient pas celles qui sont nées pour répondre aux besoins industriels de nos voisins (l’Ontario et les États-Unis).

Les compagnies minières auront à peine quelques années pour rentabiliser leurs investissements. Pour elles, il ne s’agit pas d’un défi insurmontable puisqu’elles empochent la presque totalité des centaines de milliards de dollars de la valeur de la ressource.

Mais pour nous — les contribuables de la vallée du Saint-Laurent qui auront déboursé des dizaines de milliards$ pour construire des routes, des voies ferrées, des écoles, des hôpitaux, des réseaux de distribution d’eau potable, des égouts, des aéroports, des installations portuaires — nous serons pris à payer la facture bien après la fermeture de la mine puisque les redevances payés par la compagnie durant ses quelques années d’opération couvriront à peine les coûts reliés à la décontamination du site après le départ de l’entreprise.

Au lieu que les deniers publics servent à développer des industries de pointe comme le multimédia, l’aéronautique ou la biotechnologie, on va dépenser entre 60 et 80 milliards de dollars — environ 10,000$ par Québécois, homme, femme et enfant — pour favoriser un boom minier éphémère, pour alourdir considérablement la dette publique québécoise, pour subir une décote prévisible des agences de notation et pour enfoncer le Québec dans une pauvreté durable qui nous laissera à la merci des coupures de péréquation du gouvernement fédéral canadien.

Bref, le Plan Nord, c’est la ruine du Québec.

Références :
Côte-Nord : une étude de Desjardins met en doute les retombées du Plan Nord
Droit et développement – De longues négociations débutent
Jean Charest défend le Plan Nord et les redevances
Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest
Plan nord : redevances basées sur les profits ou sur la valeur brute ?

Parus depuis la publication du présent billet :
Analyse de l’IRIS – Le Plan Nord ne serait pas rentable pour Québec
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Le Plan Nord loin de l’eldorado
Les redevances minières, un secret bien gardé
Perspectives – Plan Nord conjoncturel
Plan Nord – La vache à lait
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