Les grandes ambitions

Publié le 24 novembre 2010 | Temps de lecture : 3 minutes
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Lorsque j’étais à l’école primaire, nous recevions occasionnellement la visite de Monsieur l’Inspecteur. Une ou deux fois par année, ce religieux catholique venait vérifier nos connaissances par des questions comme celles-ci :
— Qui peut me dire comment se nomme la capitale du Canada ?
ou
— Quel explorateur français a découvert notre beau pays ?

Mais lors de notre toute première rencontre avec un inspecteur scolaire, celui-ci avait décidé, après les politesses d’usage, de débuter par la question suivante :
— Lorsque vous serez grands, quel métier aimeriez-vous faire dans la vie ?

Le premier élève répondit sans hésiter : — Pompier.

Durant la semaine qui avait précédé la visite de l’inspecteur, un incendie avait ravagé une partie du vieux séminaire de Joliette. En manchette du Joliette Journal et de L’Étoile du Nord (les deux hebdomadaires de la ville), l’événement était sur toutes les lèvres. On ne tarissait pas d’éloges pour nos vaillants pompiers.

Pour nous, petits garçons de première année, les pompiers incarnaient l’aventure, le combat valeureux contre le mal et la destruction, et l’ultime protection de notre ville contre la catastrophe. Que pouvait-on rêver de mieux que de devenir pompier ?

Le deuxième élève répondit lui aussi « pompier », de même que le troisième et environ la moitié de la classe.

Mais arrivé à mon tour, je répondis catégoriquement : — Je veux être pape !

Se tournant vers Soeur Priscillienne (notre institutrice), l’inspecteur lui avait répété à voix basse, les yeux grands ouverts : — Il veut être pape.

Revenant à moi, l’inspecteur m’avait demandé :
— Alors tu aimerais être prêtre, puis évêque, puis cardinal, puis…
— …Non, non. Je veux être pape.

Pape était tellement mieux. Comment pouvait-on se contenter de cette soutane moche de subalterne quand on peut avoir la mitre à trois étages, la bague sertie d’un énorme rubis, la chasuble cousue de fils d’or, la soutane en dentelle blanche, etc. ? Et tous ces gens qui se prosternent devant vous ou qui s’approchent en disant, d’une voix tremblante : — J’aurais une faveur à demander à Votre Monticule…

C’était clair : j’étais né pour la papauté.

Mais finalement, à l’adolescence, quand vint le moment de choisir une carrière, j’optai pour une profession aux perspectives d’emploi plus probables.

Après les grandes ambitions de l’enfance, le temps des compromis était déjà arrivé…

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Écrit par Jean-Pierre Martel